Le projet en lui-même
Cette aventure naît de la rencontre entre deux ASBL, le SASE Autrement Dit et Chicon Pleine Mer (dont le projet « Palan » consiste à permettre à des jeunes de milieu moins favorisé de s'initier au voilier dans les îles Canaries). Dès le départ, les deux asbl font le constat que les objectifs des deux associations peuvent se rencontrer et surtout permettre à des jeunes accompagnés par Autrement Dit de s'échapper d'un quotidien pas toujours facile et de les amener à se dépasser par un projet « hors norme ».
A cette époque, nous proposions à nos adolescents des « ateliers ado » une fois par mois pour renforcer nos accompagnements individuels par une dynamique collective. Ainsi, les objectifs que nous attendions d'un projet voilier se déclinaient autant en termes individuels que collectifs.
La première édition a eu lieu en avril 2018 avec 4 jeunes (âgés de 13 à 17 ans), accompagnés par un intervenant d'Autrement Dit et encadrés par 2 skippers de Chicon Pleine Mer. Le projet a pu se réaliser grâce à un subside de la Loterie Nationale, et, pour une partie, sur fonds propres d'Autrement Dit.
Cette édition fut un grand succès, nous avons donc poursuivi cette folle aventure avec des nouveaux groupes de jeunes.
Le projet, c'est quoi ?
En tant que service d'accompagnement socio-éducatif, nous travaillons avec des adolescents qui vivent en famille ou en logement autonome. Concrètement, nous proposons à ces deux publics à partir de 13 ou 14 ans (en fonction de la maturité) de participer à un projet que nous co-construisons ensemble : les jeunes, Autrement Dit, Chicon pleine mer et fatalement la météo.
Le voilier est basé dans l'archipel Canarien et en fonction de la saison et de la météo, différentes navigations sont possibles. Il peut s'agir de faire le tour d'une des îles de l'archipel en étapes (Gran Canaria, Lanzarote, La Palma, Tenerife, Fuerteventura, La Gomera, El Hierro) ou d'aller d'une île à l'autre ou de combiner les deux.
Nous partons entre une semaine et 10 jours en période de vacances scolaires et, lorsque les conditions météorologiques le permettent, nous naviguons tous les jours, en rentrant au port en fin de journée ; ainsi les nuits se passent à quai. Et, on se laisse en général une journée à terre pour faire des activités de détente, mais aussi pour ravitailler le bateau.
Il ne s'agit nullement d'une croisière de plaisance pour les jeunes. Chacun est mis à contribution dès le premier jour. La philosophie de Chicon pleine mer est "pas de passager à bord, que des équipiers" ; en clair chaque personne sur le Chicon (le nom du voilier) participe aux manœuvres. Par une approche didactique appropriée, les jeunes apprennent progressivement les différents nœuds, sortir et rentrer le voilier du port, hisser et descendre les voiles, tenir la barre, virer de bord, les instruments de navigation et même quelques rudiments des vents et marées.
Au fur et à mesure du séjour, les jeunes sont amenés à prendre part à un maximum de tâches, de sorte qu'en fin de séjour, pour les plus téméraires, ils peuvent s'essayer à manœuvrer seuls le voilier, sous la supervision des skippers.
A la fin du séjour, ils reçoivent leur « carnet de voyage » reprenant quelque uns de ces éléments.
Objectifs du projet
Les objectifs du projet voilier sont variés et touchent tant la sphère individuelle que des compétences plus sociales qui ont trait au vivre ensemble.
Les jeunes à qui nous proposons ce projet ont un parcours dans l'Aide ou la Protection de la Jeunesse, ils vivent des difficultés multiples et pour la plupart manquent d'estime et de confiance en eux.
Un objectif prépondérant est donc de travailler à une meilleure estime et confiance en eux-mêmes. Aucun de ces jeunes n'est déjà monté sur un voilier ni pratiqué des manœuvres sur l'Océan. Ainsi, certains jeunes ne s'en sentent pas capables. D'autre part, certains n'ont jamais quitté leurs parents, n'ont jamais quitté la Belgique ou n'ont jamais pris l'avion. Chacun de ces aspects est donc en soi une épreuve initiatique pour eux.
Le projet avec tout ce qu'il comporte les confronte à leurs propres limites qu'ils apprennent à dépasser, les amène à une ouverture au monde, une rencontre de l'Autre.
Chaque sortie en mer dure entre 3 heures (pour les plus courtes) et 12 heures, il faut pouvoir rester disponible et attentif pendant toutes ces heures (avec des pauses lors des moments plus calmes) et se tenir près à réagir au moindre changement de condition climatique. Cela demande une discipline et une volonté très fortes de la part des jeunes.
La part d'imprévu fait également totalement partie du voyage et il faut apprendre à faire avec !
Car oui, vivre sur un voilier est un défi de promiscuité. Il s'agit pour certains d'un véritable apprentissage de la vie en communauté : trouver sa place au sein d'un groupe, partager les tâches inhérentes à la vie en collectivité, développer des comportements de camaraderie et d'empathie, respecter les espaces de chacun, se confronter autant aux autres et à soi-même qu'au monde, etc. Se fixer des règles communes de vie collective, faire des courses ensemble en respectant un budget, participer aux tâches du quotidien (cuisiner, faire la vaisselle, nettoyage des communs, etc.) sont autant d'aspects du vivre ensemble que se fixe pour objectifs ce projet.
De plus, les manœuvres inhérentes à la navigation amènent immanquablement des compétences qui demandent une vraie coordination entre chaque personne et cela implique donc une bonne communication, de l'écoute, de l'attention à ce que les autres sont en train de faire, etc.
Mixité du public
Nous avons à cœur de pouvoir proposer ce projet aux adolescents avec lesquels nous travaillons, dès 13 ans. La mixité de genre est importante à nos yeux, mais également la mixité d'âge, de parcours et d'expériences.
Ainsi, nous avons déjà plusieurs fois mélangé des jeunes qui vivent en famille avec des jeunes engagés dans un parcours d'autonomie. Cela permet à chacun d'apprendre des expériences des autres et d'enrichir le groupe de ces différents vécus.
Préparation en amont
Il est important de bien préparer un tel projet en amont. Quantité de démarches doivent être réalisées pour rendre un départ possible.
Tout d'abord des aspects administratifs (papier en règle, mutuelle, autorisation parentale à quitter le territoire, etc.) qui, pour certains jeunes, représentent déjà un vrai défi.
Il y a également l'appréhension du groupe. Nous organisons un certain nombre de rencontres des jeunes avant le départ pour qu'ils apprennent à se connaître et qu'ils vivent déjà des choses ensemble. Cela va de séances d'info sur le projet, de présentation des skippers de Chicon pleine mer, de jeux « brise-glace », de préparation concrète de quoi mettre dans sa valise, et même d'une journée test sur un voilier en mer du nord.
Conclusions
De manière générale, pour chacun des jeunes ayant participé, ce séjour a été une opportunité de développer une confiance en eux et en leurs capacités, parfois insoupçonnées. Et même s'il est difficile de quantifier les retombées positives à plus long terme, il a été observé une ouverture sur leurs visages traduisant un épanouissement certain et, selon les accompagnateurs d'Autrement Dit, une véritable métamorphose par rapport au jour du départ.
Si cette expérience n'est pas salvatrice en soi, nous ne pouvons nier qu'elle résonne très certainement encore aujourd'hui chez les jeunes qui sont partis.
Ouverture d'esprit, à soi-même, aux autres, à la différence et au monde, apprendre à se dépasser, à puiser dans ses ressources et faire l'expérience de l'entraide, de la coopération et de la camaraderie ne sont que quelques éléments qui sont revenus des îles dans les bagages des jeunes. Ça ne résoudra sûrement pas tous les soucis qu'ils traversent dans leur vie quotidienne, mais cette expérience a au moins le mérite d'ouvrir l'horizon et de leur montrer le chemin de leurs ressources.
Si vous avez envie de soutenir financièrement ce projet, n'hésitez pas à faire un don !